A un an des municipales : véritable « danse Saint Guy » des élus autour des « emplois aidés »
Soyons clair : il ne s’agit pas ici d’approuver l’Etat et encore moins de le défendre : il est assez grand pour le faire lui-même, et dispose pour cela de ses services, de tous les hauts fonctionnaires et même des moins hauts, et, si besoin est, de gendarmes et gardes mobiles à la demande. De plus, c’est lui qui a institué ce système. Depuis des dizaines d’années, tous gouvernements confondus, l’Etat a admis, toléré, pour ne pas dire encouragé toutes les dérives et déviances possibles et imaginables. Tout cela, avec un seul but : fermer un peu plus la porte à toute politique de développement du pays, avec pour conséquence de maintenir les ayants droit et les élus dans un système d’assistanat, devenu depuis longtemps un mode de gouvernance.
On en arrive aujourd’hui au bout du bout ou presque, avec quelque 25.000 titulaires de contrats aidés, soit une fois et demi le nombre de salariés du bâtiment, et des secteurs entiers du service public qui se trouveraient dans l’impossibilité de fonctionner sans eux.
Avec un chômage de plus en plus massif et durable, on peut dire, au delà de toute autre considération, que la Réunion ne peut malheureusement pas se passer actuellement de ces « contrats aidés ». Cela est si vrai que, si par simple hypothèse, ces salariés s’arrêtaient de travailler, sans autre forme de manifestation, toutes les communes seraient paralysées. Idem pour les services de l’Education nationale, voire d’autres grands services publics.
Voilà où l’on est. Et il ne serait pas faux de dire que l’Etat est pris à son propre piège. Et pas que lui d’ailleurs.
Cela étant, on assiste depuis quelques temps à un curieux ballet auquel se livrent les élus autour des « emplois aidés ». A croire qu’ils sont tous atteints de la « danse Saint-Guy ».
Sur les contrats « aidés », CUI, CAE d’abord.
Ces contrats sont de six mois et tout le monde admet, depuis longtemps, qu’un tel contrat ne permet aucune formation, aucune professionnalisation, aucune insertion, concepts dont par ailleurs tout le monde se gargarise à longueur de temps.
L’Etat vient de proposer que ces contrats soient portés à huit mois, voire à douze 1 : c’est le tollé général ! Les maires montent en guêpes. Les uns considèrent qu’ils « ne savent pas faire », d’autres crient au vol et, sans « baisser culotte », sont prêts, et en toute dignité, à s’agenouiller voire s’allonger sur le perron de la préfecture !
Certes, cet allongement de la durée du contrat n’est pas sans poser de problème.
Chacun comprend bien que si le volume financier alloué pour reste le même et que dans le même temps ces contrats voient leur durée doubler, forcément il y en aura moins. Cela coule de source.
D’ailleurs, lors de la réunion de la commission dite de transparence, les services de l’Etat ont admis qu’il faudrait de la souplesse pour le passage de six à douze mois. Cela se comprend car, qu’on le veuille ou non, cela ne peut pas se faire du jour au lendemain et pour l’ensemble des salariés en contrats aidés.
Ajouté à cela le fait que, pour la réalisation, par le CESER, d’une note consacrée à cette question, et qui est en cours de finalisation, on s’est aperçu que dans de nombreuses communes plus de la moitié
1 Le Conseil économique social et environnemental régional (CESER) avait déjà, il y a plus de dix ans de cela, préconisé le rallongement de la durée des contrats « aidés » dans un rapport intitulé « Pour un dispositif répondant aux besoins de l’emploi à la Réunion » (consultable sur le site du CESER). Rapport adressé au Conseil régional, au Conseil général, aux parlementaires, au gouvernement de l’époque et aux services de l’Etat, mais qui avait fait un magnifique « pschitt" !
des contrats étaient renouvelés au moins une fois ! Nombre de salariés sont même en contrats aidés depuis plusieurs années.2 Pareil pour le Conseil général.
Alors pourquoi un contrat de six mois renouvelé est-il possible et un contrat d’un an ne le serait-il pas ? Deux fois six mois, cela ne ferait-il pas un an ?
A moins de considérer que si on ne peut plus promettre un « ti contrat » à la veille des élections, comme on promettait avant quelques feuilles de tôles, quelques sacs de ciment ou un camion de tout- venant, pose problème...
Et si, avec les contrats d’un an, il faut en plus faire la formation du salarié, c’est le monde à l’envers !
Cette gesticulation des élus éloigne du vrai problème qui n’est pas forcément et immédiatement le nombre de contrats, mais la masse financière allouée par l’Etat à la Réunion pour les emplois aidés. Qui ne saurait diminuer et qui devrait au contraire et même dans cette période de restriction, être majorée, pour répondre à la fois à l’allongement de la durée des contrats et aux besoins résultant de l’augmentation du chômage.
L’Etat ne saurait sur ce plan se défausser. Sa responsabilité est engagée. Les élus non plus en refusant de formaliser la mise en place de véritables projets de développement pour leur collectivité liés à l’utilisation de ces contrats. Cela permettrait, par ailleurs de passer de tels contrats vers ceux d’avenir.
Et là, les élus pourraient trouver dans les demandeurs d’emploi un vrai soutien à leur action ; et à l’inverse, les demandeurs d’emploi et les salariés pourraient trouver là le soutien des élus. Encore faudrait-il que dans les collectivités le droit syndical soit reconnu et respecté et que ces dernières aient des relations correctes et responsables avec les organisations syndicales.
L’autre problème, ce sont les emplois d’avenir.
Là, c’est du délire, il n’y a pas d’autre mot.
La différence fondamentale ici avec les CUI-CAE, c’est que l’emploi d’avenir est d’une durée de trois ans, à temps plein et complet, et la formation et professionnalisation du salarié est une obligation prévue par la loi.
L’autre différence, fondamentale là encore par rapport aux usages en vigueur, c’est que l’emploi d’avenir suppose, au préalable, un projet. Identifié, structuré dont la viabilité est incontestable, avec un parcours professionnel pour la salarié. Sans projet construit et validé il ne peut y avoir d’emploi d’avenir. Cela change par rapport aux pratiques en vigueur depuis des dizaines d’années où l’on promet un « ti travail » comme on promettait une feuille de tôle ou un chemin bétonné. Cela exclut, entre autre, tout éventuel « emploi fictif » !
Voilà qui change tout... et qui bouscule plus d’un !
Or, à quoi assiste-t-on ? D’abord, il n’est jamais question de projet. Et en plus, ce qui engage soit dit en passant la responsabilité de l’actuel gouvernement, on donne l’impression de « vendre » les emplois d’avenir comme on vend des brèdes ou des samoussas sur le bord d’chemin... et à prix réduits de 75% s’il vous plait ! Cette complaisance du gouvernement, pour ne pas dire frénésie, dans la communication est préjudiciable au dispositif lui-même.
Or, ces projets liés à des secteurs d’activité d’avenir, qui sous-tendent les emplois d’avenir sont essentiels. Et même mieux mobilisateurs : ce sont ces projets qui peuvent mobiliser les jeunes et les moins jeunes, leur permettant de s’y investir, à partir de besoins avérés dans les communes, les quartiers, car pouvant déboucher sur de vrais métiers et pérennes de surcroît.
2 On en a même découvert un qui, dans une commune, était en contrat aidé depuis... huit ans ! Et qui a été « cédéisé » depuis. Mais il y en a également dans d’autres collectivités.
Non ! Ce n’est pas de cela que l’on parle, mais du « coût » ! Et l’on assiste là à un concert de pleureurs et de pleureuses et à une envolée de surenchères plus démagogiques les unes que les autres. La proximité des élections municipales étant le carburant de tout ce monde..3
Le problème est des plus simples : sur un salaire équivalent au SMIC (1.425 € brut) l’Etat prend à sa charge 75%, soit 1.070 €. Reste à la collectivité 25%, soit 355 €, à quoi s’ajoutent les cotisations employeurs ; au total, 500 € disent certains maires, pendant que d’autres vont jusqu’à 600.
Soit. Mais remettons les choses à leur place : voilà un « produit », si l’on peut parler ainsi, qui vaut 1 570 € (1 070 € + 500 €), et qui est proposé à 500 € ! Quand on connaît l’engouement du public pour les soldes et que l’on sait que les travailleurs appellent les « contrats aidés » un travail soldé, c’est mieux que les soldes là ! Et si d’aventure le ministre Lurel faisait une telle réduction sur le panier qui porte son nom, les magasins seraient littéralement dévalisés !
Là, non ! Le sénateur socialiste, lui, propose que les Conseils général et régional prennent en charge pour moitié chacun le différentiel de 355 €. Ainsi, communes et associations pourront prendre autant qu’ils veulent d’emplois d’avenir, sans rien débourser !
Le député-maire socialiste, lui, va plus loin : il se déclare prêt à en embaucher cinquante, mais si les mêmes prennent en charge 355 €, eh bien, il en prendrait... 175 !
Le Conseil régional, quant à lui, n’est pas loin de penser que l’Etat, au lieu de verser le RSA aux jeunes ferait mieux de reprendre à sa charge le différentiel ! Ce qui revient à prendre l’argent des ayants droit pour le donner aux collectivités !
Le député-maire « autrement », lui, propose de mettre ces emplois à la disposition du secteur marchand... Pas totalement désintéressé, celui-là !
D’autres encore envisagent une « mutualisation ».
En fait, tout ce monde, veut tout gratos ! Et pourquoi pas encore remboursé par la sécurité sociale pendant qu’un y est ?
Sauf que ces honorables parlementaires oublient deux ou trois petites choses.
La première, c’est que 5.000 emplois d’avenir, cela fait rentrer à la Réunion quelque soixante à quatre- vingt millions d’euros de crédits d’Etat par an. Somme qui, compte tenu de l’état pécuniaire des salariés concernés, va se retrouver dans la consommation et donc dans l’économie. A la différence, par exemple, des sommes consacrées à quelque congrès de fin d’année permettant aux ayants droit de faire des emplettes de noël et de jour de l’an à Paris, et qui désertent donc l’économie locale.
Ces 60/80 millions, allant à la consommation vont générer des taxes, dont le fameux octroi de mer qui alimente les budgets des collectivités ! Et cela peut même avoir pour conséquence la création de quelques emplois induits !
Ajouté à cela que 5 000 personnes qui étaient au chômage et qui trouvent un emploi, cela soulage les budgets sociaux. Des collectivités, et notamment des municipalités.
Le deuxième chose touche à... « l’assistanat » : comment ces élus, ces éminents parlementaires qui sont des responsables peuvent-ils appeler les Réunionnais et Réunionnaises à la responsabilité, à rompre avec « l’assistanat », et dans le même temps réclamer que tout leur soit donné gratuitement... et si possible remboursé ? Il y a là, pour le moins, un problème paradoxal, voire de cohérence. Ou de responsabilité.
La troisième chose enfin tient du travail lui-même. Le salaire, dit-on, est la contre partie d’un travail effectué. Mais alors, quelle peut-être dans de telles conditions le rapport à la valeur du travail ? Quel peut être également la valeur du fruit du travail ? Certains pourraient dire qu’il s’agit là d’une question théorique, mais le résultat, lui, ne l’est pas et on le voit bien sur le terrain. Cela contribue à une certaine désocialisation.
3 La palme, dans ce domaine, revient sans conteste à un sénateur et à un député-maire socialistes. Talonnés de près par le député « autrement »
Il n’en reste pas moins qu’un des arguments avancé par les collectivités et notamment les communes ne doit pas être pris à la légère : c’est la question des restrictions budgétaires.
Cela pose plusieurs problèmes.
En premier lieu, que les collectivités et les élus revoient donc leurs propres critères de gestion et leurs choix politiques. Il ne s’agit pas de dépenser à vau-l’eau et de considérer qu’on a un droit de tirage à perpétuité, ce qui relève de « l’assistanat ». A ce « jeu », les élus finiront par être accusés, pour reprendre l’expression d’une ancienne ministre de l’outre-mer, de « pleurer la bouche pleine ». L’opinion à la Réunion n’est pas loin de penser la même chose, le discrédit chaque jour plus grand qui frappe les élus l’atteste.
En second lieu, il faut le reconnaître, l’Etat triche : il ne paie pas ses dettes, il serre les cordons et renvoie sur les collectivités les charges qui lui reviennent. Cela n’est pas nouveau, cela a toujours été ainsi. Lorsque par exemple la présidente du Conseil général dit que l’Etat doit au département quelque cinq cents millions d’euros, il s’agit là d’une accumulation qui remonte au RMI. Dont à la mandature précédente, et même celle d’avant.
Mais faut-il pour autant que les élus locaux prennent en otage les salariés, les demandeurs d’emploi et la population en général à qui ils font supporter les conséquences de ces défaillances de l’Etat ?
Ne vaudrait-il pas mieux, pour revenir aux emplois d’avenir, qu’ils prospectent, qu’ils fassent surgir les projets, qu’ils créent les emplois d’avenir en conséquence, et qu’avec tout le monde, dans la clarté et la transparence, ils se retournent vers l’Etat pour exiger qu’il honore ses dettes ? Ils sont assurés là d’avoir les appuis et le soutien nécessaires. Et ils créeraient ainsi un mouvement devant lequel l’Etat aurait peu d’échappatoire.
Mais cela, il ne faut pas rêver, tant chacun aujourd’hui, dans la quasi-totalité des communes, a le regard rivé sur les prochaines élections municipales, et semble plus préoccupé de ne pas augmenter les impôts locaux : il y aura toujours le temps de se rattraper l’année suivante ! Encore que, là encore, la « raison électorale » risque bien de primer avec les régionales qui se profilent...
Georges-Marie Lépinay
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