Souffrance au travail - Harcèlement et suicides
Voici quelques notions indispensables à connaître pour gérer au mieux ce type de situations.
Elles s’entendent bien évidemment en complément du droit d’alerte du CHSCT qui fait l’objet d’un article séparé.
Dans l’entreprise
Définir et imposer aux Directions, à tous les niveaux de mettre dans les bilans sociaux et donc d’analyser avec minutie les indicateurs de la souffrance au travail à savoir :
- le turn over, par établissement et par activité
- les réorganisations en cours
- les modifications des techniques de production ou les changements de process
- les licenciements
- les accidents du travail et maladie professionnelles
- les visites médicales spontanées.
Créer une synergie entre les instances à savoir qu’un DP qui déclenche un droit d’alerte doit immédiatement en informer simultanément le comité d’entreprise et le
CHSCT.
Le comité d’entreprise, doit, selon les dispositions de l’article R 4623-18, mettre à l’ordre du jour une question relative aux missions de la médecine du travail, et convié le médecin du travail
à séance plénière. Il doit également, demander officiellement au CHSCT d’enquêter sur la situation du salarié et de lui remettre ses conclusions, notamment celles concernant le lien entre
l’organisation du travail et la souffrance constatée, ou, le cas échéant, celles concernant des actes de harcèlement.
Bien entendu, le CHSCT aura de lui-même et notamment s’il est détenu par la CGTR, déclencher son enquête sans attendre la mission du CE. Mais le fait de l’officialiser en plénière CE, permettra
de casser le cantonnement des instances si cher à nos employeurs.
A n’en pas douter, la mise en place de ces synergies, ne se fera pas sans réactions du camp patronal….
Après un suicide
Analyser le travail avec minutie. Cela rentre dans les attributions des CHSCT lors de leurs INSPECTIONS. Les membres de cette instance, doivent alors, avec les collègues de la victime rechercher
les causes de la souffrance au travail ayant abouti à la décision d’en finir. A ce titre, les membres des CHSCT doivent avoir accès aux mails professionnels des salariés de l’équipe. Leurs
demandes en la matière doivent être satisfaites qu’elles soient formulées auprès des salariés ou de l’employeur.
Il faut rechercher l’évènement, souvent peu grave si pris de manière isolée, qui a généré le stress post traumatique.
Cette phase est importante car les suicidés sont bien souvent des salariés qui n’ont pas su se désengager du travail (d’où la proportion importante de cadres de proximité qui passent à l’acte).
Statistiquement, les hommes sont plus nombreux que les femmes à se suicider à cause du travail.
TOUJOURS, déclencher après un suicide dans une entreprise, en enquête sur les conditions de travail menée par un cabinet indépendant qui émettra des préconisations. Il faut impérativement
transformer le travail après un tel évènement. Les CHSCT devront donc, prévoir à l’ordre du jour d’une séance ordinaire ou extraordinaire sur le sujet, la désignation d’un expert, et la
concrétiser par un vote en séance.
Le médecin du travail
Dans les cas de souffrance au travail, peut et doit sans hésiter prononcer une inaptitude temporaire et mentionner sur le certificat « INAPTITUDE POUR DANGER IMMEDIAT ».
Depuis les évènements Renault, France Télécom et autres, de plus en plus de médecins du travail procèdent ainsi. Il convient que nous en parlions avec eux, lors de nos rencontres, notamment au
sein des CHSCT.
De plus, le médecin du travail a une obligation professionnelle en cas de suicide de rechercher dans l’organisation du travail les causes organisationnelles qui ont conduit à l’acte.
La réparation du préjudice et les actions possibles
Pour la famille
Outre la possibilité de déposer plainte avec ou sans constitution de partie civile, la loi KOUCHNER relative aux droits des malades, donne accès aux ayants droits d’un salarié suicidé à
l’intégralité du dossier médical du travail.
Le secret professionnel ne peut être avancé comme argument de refus.
Si, le suicide n’a pas été déclaré en AT et si une atteinte à la santé mentale du salarié (ex : dépression professionnelle réactionnelle) est à l’origine du geste, les ayants droits ont deux ans
pour effectuer une déclaration au titre de la maladie professionnelle.
La preuve sera à faire du lien de causalité entre la pathologie et le travail. La Cour de Cassation estime que ce lien doit être : "direct et essentiel".
En principe, le médecin traitant est à même d’établir ce lien dans bien des cas, et rédigera le certificat médical initial en ce sens. Toute déclaration en maladie professionnelle commence par
l’établissement d’un certificat médical initial sur formulaire CERFA, comme pour un accident du travail.
La sanction interne
Tout acte de harcèlement direct ou indirect, relève de la faute grave. Son ou ses auteurs peuvent être sanctionnés à ce titre. Il s’agit effectivement, d’une faute d’une telle gravité qu’elle ne
peut conduire au maintien du lien contractuel. Dans ce cas, une mise à pied à titre conservatoire est nécessaire le temps de la procédure pour sanction disciplinaire.
Procédure et fondements juridiques d’une éventuelle action en justice
Qui peut ester en justice ?
Toute personnalité civile (physique ou morale) victime d’un délit ou ayant subi un préjudice peut demander réparation devant les tribunaux compétents.
Définition de la Cour de Cassation :
Concernant la personnalité civile, la Cour de Cassation a en 54 indiqué ceci :
"attendu que la personnalité civile n'est pas une création de la loi; elle appartient en principe à tout groupement pourvu d'une possibilité d'expression collective pour la défense d'intérêts
licites, dignes par suite, d'être juridiquement reconnus et protégés ".
A ce titre, les syndicats sous condition de dépôt des statuts en mairie et de présentation du récépissé de dépôt peuvent agir devant les juridictions puissent qu’ils disposent de la personnalité
morale, de même, les Unions régionale, Fédérations et Confédérations et bien entendu les comités d’entreprises, et les CHSCT (ceux-ci n’ayant pas de moyens, il est préférable que l’action
soit introduite par le comité d’entreprise).
Au civil
S’agissant de litiges nés de l’exécution du contrat de travail, le Conseil des prud’hommes est compétent.
Le syndicat, ou l’UR peuvent agir en principal ou à titre de partie intervenante au procès dès lors qu’ils agissent dans l’intérêt collectif de la profession.
Un syndicat non représentatif dans l’entreprise dispose également de ce droit.
Il convient pour celui qui agit au titre de l’organisation syndicale de disposer d’un pouvoir antérieur à l’action et apporter la preuve du dépôt des statuts en mairie.
Au pénal
La loi française permet à la victime de saisir le juge d'instruction d'une plainte avec constitution de partie civile et par ce moyen la victime met en mouvement l'action publique sans attendre
la décision du Procureur de la République, et même malgré lui lorsque ce magistrat a classé l'affaire sans suite. Dans le cas où l'affaire est renvoyée devant la formation de jugement, et même si
l'instruction a été ouverte à la diligence du Parquet, la victime peut alors déposer des " conclusions de partie civile " pour obtenir la réparation à laquelle elle prétend.
Conformément aux dispositions des articles 6 § 1 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne morale, quelle que soit sa nationalité, a droit à ce que sa cause soit
entendue par un tribunal indépendant et impartial et si elle se prétend victime d'une infraction, doit être habilitée à se constituer partie civile devant une juridiction française, même si elle
n'a pas d'établissement en France et n'a donc pas effectué de déclaration préalable à la préfecture du département où est situé son principal établissement.
Quant elle a saisi le juge d'instruction, la personne qui en a pris l'initiative est une partie à l'instance répressive, elle a le droit de suivre l'instruction de bout en bout, de remettre des
mémoires, et de solliciter des mesures d'instruction. Elle dispose du droit d'utiliser des voies de recours contre les décisions qui lui font grief.
A noter
L’action simultanée au civil et au pénal est possible SAUF si, en cumulatif, le litige :
- oppose les mêmes parties
- a le même objet
- procède des mêmes causes
La prescription des délits est de trois ans.
Quand le risque collectif a été énoncé à l’employeur antérieurement à l’acte de suicide, par un CHSCT, via un droit d’alerte ou une alerte pour risques psychosociaux, alors la faute inexcusable
de l’employeur est de droit.
REFERENCES JURIDIQUES
Code du travail
Harcèlement moral
Article L1152-1
Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits
et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Article L1152-2
Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement,
d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de
harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
Article L1152-3
Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
Article L1152-4
L'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.
Article L1152-5
Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d'une sanction disciplinaire.
Libertés individuelles
Article L1121-1
Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées
au but recherché.
Code pénal
Des atteintes involontaires à la vie.
Article 221-6
Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de
sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans
d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende.
Du harcèlement moral
Article 222-33-2
Le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité,
d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.
Des risques causés à autrui
Article 223-1
Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une
obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.
Article 223-6
Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'abstient volontairement de
le faire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Sera puni des mêmes peines quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son
action personnelle, soit en provoquant un secours.
De la provocation au suicide
Article 223-13
Le fait de provoquer au suicide d'autrui est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende lorsque la provocation a été suivie du suicide ou d'une tentative de suicide.
Les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende lorsque la victime de l'infraction définie à l'alinéa précédent est un mineur de quinze ans.
Les personnes physiques ou morales coupables du délit prévu à la présente section encourent également la peine complémentaire suivante : interdiction de l'activité de prestataire de formation
professionnelle continue au sens de l'article L. 6313-1 du code du travail pour une durée de cinq ans.