Syndicats : comment s’apprécie la représentativité ?
Syndicats : comment s’apprécie la représentativité ?
Depuis la loi du 20 août 2008, la représentativité d’un syndicat doit être prouvée
La représentativité est une qualité qui permet d’identifier les syndicats les plus à mêmes de représenter les intérêts des salariés. Depuis la loi du 20 août 2008, elle doit être prouvée, sachant qu’il incombe à l’organisation dont la représentativité est contestée d’apporter les éléments de preuve dont elle dispose (Art. L. 2121-2 du Code du travail. La loi avait instauré une période transitoire sur le point de toucher à sa fin - le 22 août 2012 - pour les entreprises. La détermination de la représentativité dans les branches doit attendre 2013).
À tout niveau, la représentativité permet au syndicat d’être un acteur de la négociation collective. Au niveau national, seuls les syndicats représentatifs ont
accès à des instances aussi diverses que l’Unedic ou la commission nationale de la négociation collective, et à l’organisation de la mutualisation des fonds de la formation professionnelle.
Dans l’entreprise, l’exercice des prérogatives syndicales – dont la négociation collective, on l’a vu – est réservée aux syndicats représentatifs. Même s’il est vrai qu’une représentativité
« allégée » permet aux organisations d’avoir une représentation syndicale : implanter une section, y désigner un représentant (Art. L. 2142-1 et L. 2142-1-1 du Code du travail).
Pour être représentatif, un syndicat doit répondre aux critères énumérés à l’article L. 2121-1 du Code du travail. Il s’agit du respect des valeurs républicaines, de l’indépendance, de la transparence financière, d’une ancienneté de deux ans minimum, de
l’audience, de l’influence et, enfin, des effectifs d’adhérents et des cotisations. Sept critères au total dont la loi dit qu’ils sont cumulatifs, c’est-à-dire qu’un syndicat doit tous les réunir
pour être représentatif.
Modalités d’appréciation
des critères
Tous ces critères ont-ils une égale importance ou peuvent-ils être pondérés ? Un
arrêt du 29 février
dernier répond pour la première fois à la question. Dans cette affaire, le syndicat CGT de l’Institut de gestion sociale des armées (IGESA), obtient 16,3 % des suffrages aux élections du comité d’entreprise de l’établissement « siège » et désigne comme déléguée syndicale et déléguée syndicale centrale une salariée ayant recueilli 14,4 % des voix aux élections DP. L’employeur conteste la représentativité du syndicat et attaque ces
désignations devant le tribunal d’instance, lequel lui donne raison. Selon le TI, ayant mené des actions concernant tous les établissements, et ce conjointement avec d’autres organisations, le
syndicat CGT ne remplit pas le critère de l’influence. Il n’a que trois adhérents dans l’établissement « siège » qui compte 211 inscrits sur les listes électorales, exit donc le critère d’adhérents et de cotisations. Enfin, il n’a pas produit l’annexe simplifiée exigée à l’article
D. 2135-3 en plus du bilan et du compte de résultat, si bien qu’il ne satisfait pas à l’exigence de transparence financière.
La Cour de cassation casse le jugement. Certes les critères doivent être tous réunis, car la loi l’exige. Mais si le respect des valeurs républicaines, l’indépendance et la transparence
financière doivent être satisfaits de manière autonome, l’influence, les adhérents et cotisations, l’ancienneté, dès lors qu’elle est d’au moins deux ans, et l’audience, dès lors qu’elle est d’au
moins 10 %, doivent faire l’objet d’une appréciation globale (Cass. soc. 29 fév. 2012 ; n°11-13748, Synd. CGT de l’IGESA c/ IGEA, publié au bull).
Autrement dit, parmi ces quatre critères, ceux qui sont acquis peuvent pallier la faiblesse de ceux qui ne sont que partiellement remplis. En l’espèce, la bonne audience et l’activité du syndicat
ont pu compenser un nombre d’adhérents relativement faible. La Cour de cassation procède donc à une sorte de pondération des critères, comme elle le pratiquait avant 2008, et comme le
préconisaient les signataires de la position commune du 9 avril 2008, en énonçant que les critères étaient cumulatifs et s’appréciaient dans un cadre global. La formulation de l’arrêt indique
toutefois que les syndicats ne peuvent pas s’affranchir du seuil électoral des 10 %
ni de l’ancienneté des deux ans. Une très forte influence et un nombre d’adhérents conséquent ne semblent pas pouvoir venir au secours d’un score électoral inférieur à 10 %.
Les trois premiers critères cités – transparence financière, indépendance et respect des valeurs républicaines – ne rentrent pas dans le cadre global. Si l’un d’eux fait
défaut, le syndicat n’est pas représentatif.
Les critères « autonomes »
La transparence financière consiste, pour les organisations, à justifier de l’origine de leurs financements. Le critère est à mettre en lien avec l’indépendance qui se vérifie aussi à travers
l’autonomie financière. Selon l’article L. 2135-1 du Code du travail, les syndicats et leurs unions (les UL, UD et comités régionaux) doivent produire des comptes annuels certifiés par expert-comptable ou
commissaire aux comptes. Les pièces comptables à fournir, définies aux articles D. 2135-1 et suivants du Code du travail, varient selon que les ressources sont inférieures ou égales à 230 000,00 euros, ou bien supérieures. Dans le premier cas, les comptes annuels « peuvent » être établis sous la forme d’un bilan, d’un compte de résultats et d’une annexe simplifiée. Selon la Cour de cassation « les documents comptables dont la loi impose la confection et la publication ne sont que des éléments
de preuve (...), leur défaut pouvant dès lors être suppléé par d’autres documents produits par le syndicat et que le juge doit examiner » (Cass. soc. 29 fév. 2012,
précité). Le syndicat qui ne présente pas l’annexe simplifiée peut ainsi produire des livres comptables, des relevés bancaires, etc.
L’indépendance est une notion qui vise l’absence de lien avec l’employeur et le patronat en général et caractérise la liberté syndicale. Il s’agit ici d’écarter les syndicats maison, créés sous
l’influence ou la pression de l’employeur. De ce point de vue, la jurisprudence nous enseigne qu’un syndicat qui ne demande pas de cotisations à ses adhérents et est le seul à recevoir une
subvention de l’employeur n’est pas indépendant. Idem pour celui qui se montre hostile au droit de grève ou consacre son énergie à contrer les autres syndicats. Le respect des valeurs
républicaines remplace le critère de l’attitude patriotique pendant la guerre, devenu obsolète. Il se présume, et c’est à celui qui le conteste d’apporter les éléments de preuve de ses
allégations (Cass. soc. 8
juil. 2009, n° 08-60599, bull. n° 181. C’est le cas aussi de l’indépendance : à
la différence des autres critères, il appartient à celui qui la conteste d’apporter la preuve Cass. soc. 17 janv. 1989,
n° 88-60362, Sund. CSTM). Un syndicat ne peut pas être fondé sur une cause ou en vue d’un objectif illicite, et poursuivre des
objectifs essentiellement politiques. Par le passé, des syndicats FN Police ont été dissous du fait qu’ils prônaient des « distinctions fondées sur la race, la couleur, l’ascendance, l’origine nationale ou
ethnique » (Cass. ch. mixte, 10 avril 1988,
n° 97-17870, bull. n° 2). Les juges ne doivent pas se contenter de l’examen des statuts du syndicat. C’est en effet dans l’action
qu’il mène qu’il faut rechercher si le syndicat poursuit un objectif illicite, contraire aux valeurs républicaines (Cass. soc. 13 oct. 2010,
n° 10-60130, CNT. Le syndicat prône dans ses statuts de 1946 l’abolition de l’État. La dimension idéologique est jugée symbolique et datée.
Dr. Ouv. déc. 2010 p. 686, note JP Leduc et JCP nov. 2010 p. 11, commentaires critiques d’ Y.
Pagnerre).
Critères pouvant être appréciés de façon globale
Le syndicat doit justifier de deux ans d’ancienneté dans le champ d’application géographique et professionnel couvrant le niveau de négociation, à compter de la
date de dépôt de ses statuts. Il a été jugé que l’exercice de la liberté que possède un syndicat d’élaborer des statuts et de changer d’affiliation, ne peut pas entraîner la perte de la
personnalité juridique et la création d’un nouveau syndicat. Autrement dit, dans l’opération, le syndicat ne perd son ancienneté (Cass. soc. 3 mars 2010, n°
09-60283, bull. n° 54).
Gage de l’indépendance du syndicat, les cotisations lui permettent d’avoir une activité et de faire état du nombre réel d’adhérents. La condition pour créer une section syndicale est de compter
au moins deux adhérents. Pour ce qui est de la représentativité, les juges estiment que les effectifs doivent être suffisamment importants pour que le syndicat représente réellement les intérêts
des salariés (Cass. soc.
13 avril 1999, n° 97-60633, bull. n° 175). Pour la désignation d’un délégué syndical central, le syndicat doit pouvoir justifier d’adhérents dans l’ensemble du personnel et non pas dans
un unique établissement. Mais il n’est nullement exigé qu’il y a un nombre d’adhérents proportionnel à l’effectif de l’entreprise.
Selon les termes de la loi, l’influence se caractérise prioritairement par l’activité et l’expérience. Le syndicat doit avoir des actions visibles. D’autres éléments peuvent également corroborer
son influence : une large implantation géographique, les effectifs etc. Quoi qu’il
en soit, pour apprécier ce critère, le juge doit prendre en compte l’ensemble de ses actions, y compris celles qu’il a menées alors qu’il était affilié à une confédération syndicale (Cass. soc 28 sept. 2011, n°
10-26545, Sté Acna). Toutes ses actions ont une importance, même si elles sont menées conjointement avec d’autres syndicats ou si elles n’ont pas été réalisées spécifiquement dans
l’établissement pour lequel se pose la question de la représentativité (Cass. soc. 29 fév. 2012,
précité).
Enfin, l’audience aurait mérité la première place car elle est le pilier de la réforme des règles relatives à la représentativité. Dans l’entreprise, un syndicat doit avoir obtenu
10 % au premier tour des élections des membres titulaires du comité d’entreprise.
Au niveau de la branche et au niveau national interprofessionnel, il doit cumuler 8 % de ces suffrages.
La jurisprudence a été prolifique pour préciser le
critère de l’audience et sa mesure (scrutin à prendre en considération, cadre de désignation des délégués, problématiques des listes communes etc.). Rappelons que la Cour de cassation a affirmé
que la condition légale de l’obtention des 10 % minimum au premier tour de
l’élection des membres titulaires du CE était d’ordre public absolu. Cela interdit par conséquent à un accord collectif, comme à un employeur, de reconnaître la qualité de représentativité à une
organisation syndicale qui n’a pas satisfait à cette condition (Cass. soc. 18 mai 2011,
n° 10-60406, Dekra Inspection). Et conforte le fait qu’aucun autre critère légal puisse pallier sa défaillance.
Syndicats affiliés : de nouvelles précisions
L’affiliation confédérale sous laquelle un syndicat présente des candidats au 1er tour des élections constitue un élément essentiel du vote (Cass. soc. 18 mai 2011, n° 10-60273). De ce
principe, la Cour de cassation vient de déduire qu’un syndicat ne peut pas revendiquer à son profit, dans une entreprise, le score obtenu par un syndicat qui lui est affilié que si cette
affiliation a été mentionnée sur les bulletins de vote au moyen desquels les électeurs ont exprimé leur choix, ou porté à leur connaissance certaine par le syndicat. Étant précisé que la mention
de l’affiliation sur les tracts de campagne, dans les accords collectifs ou dans des statuts modifiés et régulièrement déposés en mairie ne suffit pas à ce que les salariés aient une connaissance
certaine de l’affiliation d’un syndicat dit « primaire » à
une confédération (Cass. soc. 12 avril 2012, n°
11-22291 et
n° 11-22290, Synd. CFDT Groupe Air
France c/Air France : deux arrêts). + sur les conséquences de
l’affiliation, voir RPDS n° 800, déc. 2011.