La reconnaissance de l’UES est de nature À favoriser l’action syndicale
La reconnaissance de l’UES est de nature À favoriser l’action syndicale
Chez Dassault, il n’a pas été simple, pour les élus et mandatés, de faire reconnaître, entre différentes sociétés du groupe, une unité économique et sociale. Ils y sont parvenus, avec en prime l’affirmation par la Cour de cassation que le jugement rendu est désormais toujours susceptible d’appel et non d’un seul pourvoi en cassation. Explications et conséquences.
La Cour de cassation considère depuis 1970 que des sociétés juridiquement distinctes peuvent constituer, lorsque certains critères sont réunis, une unité économique et sociale (UES), assimilée à une seule entreprise pour l’application de la législation sur les institutions représentatives du personnel. En 1982, le législateur a consacré cette jurisprudence dans l’ancien article L. 431-1, devenu l’article L. 2322-4, confirmant qu’en cas d’UES régulièrement reconnue, il faut mettre en place un comité d’entreprise commun (Pour des développements conséquents sur l’UES voir M. Cohen, Le droit des CE et des CG, 9e éd., LGDJ 2009, p. 74). Après avoir étendu cette règle à l’implantation des délégués du personnel et des délégués syndicaux (Cass. soc. 3 juillet 1985, n° 85-60060), la Cour de cassation l’a élargie. Elle déclare à présent que « quelles que soient les institutions représentatives, les critères de l’unité économique et sociale sont les mêmes » (Cass. soc. 3 mai 2007, n° 06-60042).
L’enjeu de la reconnaissance d’une UES saute aux yeux : en présence de sociétés juridiquement distinctes, elle permet la constitution d’un comité d’entreprise commun (ou d’un comité central d’entreprise commun) apte à contrôler la gestion des différentes sociétés de l’UES. Elle permet aussi l’élection de délégués du personnel ou encore, très souvent, la désignation de délégués syndicaux communs à l’UES ou la désignation d’un délégué syndical central commun à deux sociétés. La reconnaissance de l’UES est donc de nature à favoriser l’action syndicale, ce qui explique qu’elle se heurte parfois à l’hostilité patronale et à la résistance de la société dominante, comme c’était le cas dans l’affaire Dassault.
Une action en reconnaissance judiciaire
Aux termes de la loi, l’unité économique et sociale est reconnue par convention ou par décision de justice. Les actions judiciaires en reconnaissance d’une UES entre deux ou plusieurs sociétés,
qu’elles aient pour objet ou pour conséquence la mise en place d’institutions représentatives spécifiques, sont de la compétence du tribunal d’instance.
En l’espèce, le comité d’entreprise et la CGT de la société Dassault Falcon service avaient agi en justice en vue de faire reconnaître l’existence d’une UES entre leur entreprise et la société
Dassault aviation.
Le but des représentants du personnel était de pouvoir désigner un élu au comité central d’entreprise (CCE) de la société Dassault aviation. Leur demande avait été rejetée le 16 janvier 2009
par le tribunal d’instance d’Aubervilliers au motif que les deux sociétés ne présentaient pas, entre elles, l’unité économique, condition première, mais non suffisante, pour que soit reconnue
l’UES.
Un recours devant la cour d’appel contesté
Le comité d’entreprise et la CGT de la société Dassault Falcon service décident alors de saisir la cour d’appel de cette décision. Mais le magistrat chargé de mettre l’affaire en état d’être
jugée déclare l’appel irrecevable par une ordonnance du 28 janvier 2010 (Le juge de la mise en l’état instruit les dossiers pour que les affaires soient en état d’être jugées). Il en
résultait que seul un pourvoi en cassation était possible contre le jugement du tribunal d’instance.
Cette déclaration d’irrecevabilité de l’appel reposait sur une jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation selon laquelle l’action en reconnaissance d’une UES en vue de la mise en place
d’institutions représentatives et à la désignation des délégués syndicaux, donc dans le cadre d’un litige électoral, relève du contentieux des élections professionnelles et doit en suivre le
régime. Inversement, si la reconnaissance de l’UES est sollicitée en dehors de tout contentieux électoral, elle donne lieu à un jugement susceptible d’appel. Tel n’était pas le cas dans l’affaire
Dassault Falcon service puisque, selon les premiers juges, la reconnaissance avait pour unique objectif la mise en place d’institutions représentatives adaptées au périmètre de l’UES.
Avant qu’un juge puisse examiner l’affaire sur le fond, le syndicat CGT-Ugict-CGT de Dassault Falcon service et la Fédération CGT des travailleurs de la Métallurgie devaient donc, au préalable,
faire juger recevable l’appel contre le jugement du 16 janvier 2009 ayant rejeté leur demande de voir reconnaître une UES. Pour ce faire, ils devaient démontrer que le jugement du tribunal
d’instance qui s’est prononcé sur l’UES à l’occasion de la désignation des élus aux CCE ne suivait pas les règles du contentieux électoral (pourvoi en cassation directement) et qu’il était donc
possible de faire appel du jugement.
La société Dassault soutenait pour sa part que la notion de litige électoral recouvre toute demande visant à la mise en place ou à la modification de la configuration des institutions
représentatives existantes et par extension à la désignation des délégués syndicaux.
Un revirement de jurisprudence
La cour d’appel, dans un arrêt avant dire droit (c’est-à-dire avant de se prononcer sur le fond), a jugé recevable l’appel formé par le CE et le syndicat. Elle a considéré que pour appliquer
l’article R. 2324-24 du code du travail, il fallait distinguer l’objet de la demande de l’objectif poursuivi. La demande ayant pour objet principal la reconnaissance d’une UES, la
désignation de représentants des salariés de la société au CCE de la société Dassault aviation n’en était que la conséquence. Il n’existait donc pas, au sens littéral du texte, de litige
électoral, aucune élection ni désignation n’étant encore intervenue (Appel Paris, 15 avril 2010, pôle 6, ch. 2, n° 10/02638, CE de la Sté Dassault Falcon service c/Sté Dassault
Aviation).
La Cour de cassation approuve le raisonnement de la cour d’appel et rejette le pourvoi formé par les employeurs. Mais elle va plus loin en mettant un terme, tout à fait général, à la distinction
entre décisions rendues sur une demande de reconnaissance d’une UES formées à l’occasion d’un litige électoral, et celles rendues indépendamment d’un tel litige (Voir par exemple Cass. soc. 12 sept. 2007,
n° 06-60275, Société Behra audit management services).
Fait exceptionnel, elle explique dans son attendu la justification de son changement d’approche : c’est l’entrée en vigueur de la loi du
20 août 2008 qui conduit à revenir sur cette jurisprudence. Elle a subordonné la mise en place d’une institution représentative du personnel à des conditions dépendant de résultats
d’élections organisées dans le périmètre de l’UES. Il en résulte que cela exclut nécessairement que l’action en reconnaissance d’une UES naisse d’un litige électoral ou porte sur la désignation
d’un représentant syndical. En conséquence, la demande de reconnaissance d’une UES, qu’elle ait pour objet ou pour conséquence la mise en place d’institutions représentatives correspondantes, est
désormais toujours susceptible d’appel (Cass. soc. 31 janv. 2012, n° 11-20232, Sté Dassault aviation et Sté Dassault Falcon service c/CE Dassault Falcon service).
Les sociétés constituaient bien une UES
L’arrêt de la Cour de cassation rejette donc le pourvoi qui avait été formé contre l’arrêt de la cour d’appel, lequel s’était prononcée pour la recevabilité de l’appel par un arrêt avant dire
droit du 15 avril 2010. Dès cette date, cela donnait la possibilité pour la cour d’appel de se prononcer sur le fond de l’affaire, ce qu’elle fit dans un arrêt du 28 avril 2011. Elle a
reconnu, contrairement au jugement de première instance, que la société Dassault Falcon service et la société Dassault aviation constituent ensemble une UES et a autorisé le comité d’entreprise à
prendre toutes dispositions utiles afin de désigner ses représentants au comité central d’entreprise. Un second pourvoi a donc été formé sur ce point par les deux sociétés mais celui-ci a été
déclaré non admis par le même arrêt. L’arrêt de la cour d’appel est donc définitif (Appel Paris, pôle 6, ch. 2, 28 avril 2011, n° 10/02638, Comité d’entreprise de la société Dassault
Falcon service et autres c/Sté Dassault aviation).
Pour reconnaître l’unité économique entre les deux sociétés, la cour d’appel a relevé principalement la relation de dépendance de la société Dassault Falcon service à l’égard de la société
Dassault, puisqu’elle n’entretient ou ne répare que des avions Falcon construits par Dassault et ce contrairement à d’autres sociétés du même périmètre qui interviennent sur des avions de marque
différente. L’activité principale de maintenance de la société Dassault Falcon service dédiée au Falcon se trouve dès lors liée à celle du constructeur de cet avion et ne peut perdurer que dans
la limite de l’activité de sa société mère.
Quant à l’unité sociale, elle a été caractérisée notamment par l’identité de convention collective, la permutabilité des salariés respectifs des sociétés, des accords d’entreprise sur
l’intéressement ou sur la participation comportant une formule de calcul identique et un accord semblable relatif à la prévoyance des cadres. En outre, les salariés des deux sociétés ont en
commun la prime de treizième mois, les congés supplémentaires pour ancienneté, et un horaire de travail hebdomadaire de 38 heures avec 15 jours au titre de la réduction du temps de travail,
la seule différence tenant à la pause journalière considérée comme temps de travail effectif chez Dassault Aviation. Ainsi, même si elles ne sont pas toutes semblables, les conditions de travail
des salariés des deux intimées présentent une similitude suffisamment importante et variée.
En pratique
Les conséquences de l’arrêt Dassault
L’arrêt Dassault rendu par la Cour de cassation dans le nouveau contexte juridique résultant de la loi du 20 août 2008 emporte un certain nombre de conséquences pratiques au regard de la
reconnaissance d’une unité économique et sociale (UES).
=> S’agissant du délégué syndical, avant la loi précitée un syndicat pouvait le désigner au sein de ce qu’il considérait comme une UES. L’employeur contestait l’existence de l’UES en
contestant la désignation du délégué, ce qui donnait lieu à un jugement du tribunal d’instance rendu en dernier ressort. Depuis la loi du 20 août 2008, le délégué syndical doit être choisi
parmi les candidats ayant obtenu 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles. Pour qu’un délégué
syndical puisse être désigné au niveau de l’UES, des élections doivent avoir eu lieu à ce niveau. En conséquence, l’existence de l’UES doit avoir été préalablement reconnue. Et le seuil de
10 % fixé par l’article L. 2121-1 du code du travail se calculera en additionnant la totalité des suffrages obtenus lors des élections au
sein des différentes entités composant l’UES (Cass. soc. 5 avril 2011,
n° 10-18523, Sté Ancien restaurant Chartier, RPDS 2011, n° 795, somm. n° 098).
=> S’agissant des institutions élues, l’action en reconnaissance d’une UES doit désormais toujours emprunter la voie d’une action visant uniquement à obtenir la reconnaissance par le juge de
l’UES revendiquée. Cette action n’a pas à être présentée à l’appui d’une demande d’annulation des élections.
Si une UES est reconnue par le juge, cela n’emporte pas l’annulation des dernières élections. Mais cela oblige les différents employeurs de l’UES à organiser dans le périmètre de celle-ci de
nouvelles élections à la même date pour les délégués du personnel et le comité d’entreprise. Celles-ci mettront fin aux mandats des élus en cours de mandat. Il a été en effet jugé que la
reconnaissance judiciaire d’une UES impose la mise en place des institutions représentatives du personnel qui lui sont appropriées. En conséquence, les mandats en cours cessent au jour des
élections organisées au sein de l’UES quelle que soit l’échéance de leur terme (Cass. soc. 26 mai 2004,
n° 02-60935).